domingo, 6 de enero de 2019

REFLETS (M. Maeterlinck/A. Delgado)


REFLETS
Sous l'eau du songe qui s'élève,
Mon âme a peur, mon âme a peur !
Et la lune luit dans mon cœur,
Plongé dans les sources du rêve.
Sous l'ennui môme des roseaux,
Seuls les reflets profonds des choses,
Des lys, des palmes et des rosés,
Pleurent encore au fond des eaux.
Les fleurs s'effeuillent une à une
Sur le reflet du firmament,
Pour descendre éternellement
Dans l'eau du songe et dans la lune.



CORRESPONDANCES (C. Baudelaire/A. Delgado)


CORRESPONDANCES
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


C'EST LA BONNE HEURE (E. Verhaeren/A. Delgado)


C'EST LA BONNE HEURE
C'est la bonne heure où la lampe s'allume :
Tout est si calme et consolant, ce soir,
Et le silence est tel, que l'on entendrait choir
Des plumes.
C'est la bonne heure où, doucement,
S'en vient la bien-aimée,
Comme la brise ou la fumée,
Tout doucement, tout lentement.
Elle ne dit rien d'abord - et je l'écoute ;
Et son âme, que j'entends toute,
Je la surprends luire et jaillir
Et je la baise sur ses yeux.
C'est la bonne heure où la lampe s'allume,
Où les aveux
De s'être aimés le jour durant,
Du fond du coeur profond mais transparent,
S'exhument.
Et la pensée éclose en des émois soudains,
Au souvenir d'un mot de tendresse fanée
Surpris au fond d'un vieux tiroir,
Sur un billet de l'autre année.



 

LE SYLPHE (P. Valéry/A. Delgado)


LE SYLPHE
Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu !

Ni vu ni connu
Hasard ou génie ?
À peine venu
La tâche est finie !

Ni lu ni compris ?
Aux meilleurs esprits
Que d’erreurs promises !

Ni vu ni connu,
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises !



PREMIÈRE SOIRÉE (A. Rimbaud/A. Delgado)


PREMIÈRE SOIRÉE 
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, mouche au rosier.
Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal



À LA NUE ACCABLANTE (S. Mallarmé/A. Delgado)


À LA NUE ACCABLANTE
À la nue accablante tu
Basse de basalte et de laves 
À même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu
Quel sépulcral naufrage (tu
Le sais, écume, mais y baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le mât dévêtu
Ou cela que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l'abîme vain éployé
Dans le si blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le flanc enfant d'une sirène.



ÉLÉVATION (C. Baudelaire/A. Delgado)


ÉLÉVATION
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
— Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!


VISIONS (M. Maeterlinck/A. Delgado)


VISIONS
Je vois passer tous mes baisers,
Toutes mes larmes dépensées;
Je vois passer dans mes pensées
Tous mes baisers désabusés.
C'est des fleurs sans couleur aucune,
Des jets d'eau bleus à l'horizon,
De la lune sur le gazon,
Et des lys fanés dans la lune.
Lasses et lourdes de sommeil,
Je vois sous mes paupières closes,
Les corbeaux au milieu des rosés,
Et les malades au soleil,
Et lent sur mon âme indolente,
L'ennui de ces vagues amours
Luire immobile et pour toujours,
Comme une étoile pâle et lente.


LE CIMIETIÈRE MARIN (P. Valéry/A. Delgado)


LE CIMETIÈRE MARIN
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencee
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux!
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir!
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir. 


PETIT AIR (S. Mallarmé/A. Delgado)


PETIT AIR
Quelconque une solitude
Sans le cygne ni le quai
Mire sa désuétude
Au regard que j'abdiquai
Ici de la gloriole
Haute à ne la pas toucher
Dont maint ciel se bariole
Avec les ors de coucher
Mais langoureusement longe
Comme de blanc linge ôté
Tel fugace oiseau si plonge
Exultatrice à côté
Dans l'onde toi devenue
Ta jubilation nue
Indomptablement a dû
Comme mon espoir s'y lance
Eclater là-haut perdu
Avec furie et silence,
Voix étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie,
L'oiseau qu'on n'ouït jamais
Une autre fois en la vie.
Le hagard musicien,
Cela dans le doute expire
Si de mon sein pas du sien
A jailli le sanglot pire
Déchiré va-t-il entier
Rester sur quelque sentier !



 

SOLEILS COUCHANTS (P. Verlaine/A. Delgado)


SOLEILS COUCHANTS
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils

À de grands soleils
Couchants sur les grèves.



LE SERPENT QUI DANSE (C. Baudelaire/A. Delgado)


LE SERPENT QUI DANSE
Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur !